Travailleuse sociale en Seine-Saint-Denis, Karima*, 43 ans, rencontre régulièrement des personnes d’origine maghrébine, africaine, slave… Elle les aide à faire valoir leurs droits, et s’assure qu’elles et ils sont bien reçus dans les services publics français. Son constat est alarmant : la majorité affirment avoir déjà été victimes ou témoins de propos racistes dans une caisse d’allocations familiales (CAF), ces établissements chargés de remplir une mission de service public et qui emploient 36 000 personnes dans toute la France.
Une agente d’entretien d’une quarantaine d’années a carrément dû saisir un avocat, traumatisée par ce qu’elle juge être un véritable « harcèlement raciste ». « Las agents de la CAF disent parfois des choses terribles, et même à des personnes âgées, comme ‘Rappelez quand vous aurez quelqu’un pour traduire, ou bien quand vous saurez parler le français l’, ou encore ‘Avec son nom arabe compliqué, ça va être encore un dossier complexe », s’indigne Karima.
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« Si on ne parle pas très bien français, ils deviennent très suspicieux, car pour eux cela veut dire qu’on fraude. Ils font semblant de ne pas comprendre nos problèmes, alors qu’en réalité ils connaissent les défaillances de leur système qui rend fou, insiste l’étudiant. Ce sont les étrangers ou les gens issus de l’immigration qui prennent pour l’État qui ne fait rien, et le travail qui manque. Entre allocataires, il arrive qu’on s’entraide à l’accueil d’une CAF: on décrypte, on traduit nos courriers reçus. »
De nombreuses travailleuses sociales de la région parisienne constatent aussi que des familles maghrébines, africaines ou réfugiées sont particulièrement contrôlées lors de leurs déplacements vers leur pays d’origine. Pour toucher les prestations familiales, il faut en effet résider plus de six mois par an sur le territoire.
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Deux chercheurs à l’Institut de psychodynamique du travail (IPDT), Fabien Lemozy et Stéphane Le Lay, ont étudié l’expérience de la précarité et ses liens avec la santé mentale en rencontrant des agentes de Pôle emploi. D’après eux, ces remarques dévalorisantes relèvent de « stratégies de défense par la péjoration » : « C’est une construction psychique qui vise à déshumaniser les gens reçus pour masquer la souffrance de ne pas pouvoir s’en occuper de manière convenable, voire de les maltraiter. Le racisme peut se retrouver dans ces conduites, puisqu’il mobilise l’imaginaire social. »