Jugement du Tribunal Administratif de Mayotte, 1ère chambre, du 5 janvier 2024, n°2206272
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés les 19 décembre 2022, 27 juin 2022 et 20 octobre 2023, M. E A B, représenté par Me Sevin, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 20 juin 2022 par laquelle le préfet de Mayotte a refusé d’agréer sa candidature aux fonctions de gardien de la paix de la police nationale, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux du 18 août 2022 ;
2°) d’enjoindre au préfet de Mayotte de procéder à son intégration dans le corps de services de la police nationale en qualité de gardien de la paix ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;
– elle repose sur des faits matériellement inexacts ;
– elle est entachée d’erreur d’appréciation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 février 2023 et 3 novembre 2023, le préfet de Mayotte conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la partie requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le décret n°95-654 du 9 mai 1995 ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Banvillet, premier conseiller,
– les conclusions de Mme Baizet, rapporteure publique,
– et les observations de Me Sevin représentant M. A B et celles de M. C représentant le préfet de Mayotte.
Considérant ce qui suit :
1. M. E A B a été admis au concours externe de gardien de la paix au titre de la session organisée au cours de l’année 2021. Par une décision du 20 juin 2022, le préfet de Mayotte a toutefois refusé de délivrer à M. A B l’agrément auquel est subordonné son admission définitive à cet emploi, au motif que l’intéressé ne présentait pas les garanties requises pour exercer de telles fonctions. Par la présente requête, M. A B demande au tribunal l’annulation de la décision du 20 juin 2022, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 18 août 2022.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article 4 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale dans sa rédaction applicable au litige : ” Outre les conditions générales prévues par l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et les conditions spéciales prévues par les statuts particuliers, nul ne peut être nommé à un emploi des services actifs de la police nationale : [] 3° si sa candidature n’a pas reçu l’agrément du ministre de l’intérieur. “. Aux termes de l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure : ” Les décisions administratives de recrutement () prévues par des dispositions législatives ou réglementaires concernant () les emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’Etat () peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques () intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées “. Aux termes de l’article R. 114-2 du même code : ” Peuvent donner lieu aux enquêtes mentionnées à l’article R. 114-1 les décisions suivantes relatives aux emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’Etat ainsi qu’aux emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense : / () / 3° Recrutement ou nomination et affectation : / () / g) Des fonctionnaires et agents contractuels de la police nationale () “.
3. S’il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans l’intérêt du service, si les candidats à un emploi des services actifs de la police nationale présentent les garanties requises pour l’exercice des fonctions auxquelles ils postulent, il incombe au juge de l’excès de pouvoir de vérifier que le refus d’agrément d’une candidature est fondé sur des faits matériellement exacts et de nature à le justifier légalement. Par ailleurs, l’administration peut opposer un refus d’agrément, même après que l’intéressé ait été reçu au concours, mais avant sa nomination, lorsqu’ont été révélés à l’administration des faits laissant supposer que le candidat ne présente pas toutes les garanties requises pour occuper un emploi dans les services actifs de la police nationale.
4. Pour refuser d’agréer la candidature de M. A B à l’emploi de gardien de la paix de la police nationale, le préfet de Mayotte s’est fondé sur les conclusions de l’enquête administrative conduite par le service national des enquêtes administratives de sécurité selon lesquelles l’intéressé a, au cours de l’année 2011, fréquenté un groupe religieux occupant illégalement une salle de prière installée au sein d’un foyer de travailleurs migrants et prônant, en raison de son appartenance revendiquée au mouvement tabligh, une vision ultra-rigoriste et littérale de l’islam. Il ressort des résultats de cette même enquête que M. A B a, durant cette même période, poursuivi l’objectif de mettre en œuvre un prosélytisme envers les jeunes issus des quartiers sensibles. Toutefois, ces faits, rapportés de manière peu circonstanciée, sont, en ce qui concerne les actes de prosélytisme, fermement contestés par le requérant et, pour les autres, justifiés par la situation d’isolement social et familial dans laquelle il s’est trouvé à son arrivée sur le territoire hexagonal pour la poursuite de ses études. En outre, il résulte du contenu même de l’enquête, que ces faits, relativement anciens, n’ont donné lieu à aucune poursuite pénale et n’ont pas été réitérés y compris depuis que le requérant est entré en juin 2019 en qualité de policier-adjoint au sein des services de la police aux frontières Mayotte où son comportement tout comme sa manière de servir n’ont donné lieu à aucune observation défavorable. Dans ces conditions, compte tenu de l’ancienneté et du caractère isolé des faits incriminés, le préfet de Mayotte a commis une erreur d’appréciation en considérant que M. A B ne présentait pas toutes les garanties requises pour occuper un emploi dans les services actifs de la police nationale et en refusant, pour ce motif, d’agréer sa candidature aux fonctions de gardien de la paix de la police nationale.
5. Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la décision du 20 juin 2022 par laquelle le préfet de Mayotte a refusé d’agréer la candidature de M. A B aux fonctions de gardien de la paix de la police nationale et la décision implicite de rejet du recours gracieux de l’intéressé doivent être annulées.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
6. Le présent jugement implique nécessairement, eu égard au motif d’annulation retenu, qu’il soit enjoint au préfet de Mayotte de délivrer à M. A B l’agrément de sa candidature aux fonctions de gardien de la paix. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de lui enjoindre d’y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés à l’instance :
7. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. A B d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 20 juin 2022 du préfet de Mayotte refusant l’agrément de la candidature de M. A B à l’exercice des fonctions de gardien de la paix et la décision implicite de rejet du recours gracieux du 18 août 2022 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Mayotte de délivrer à M. A B l’agrément de sa candidature à l’exercice des fonctions de gardien de la paix de la police nationale dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir.
Article 3 : L’Etat versera à M. A B une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. E A B et au ministre de l’intérieur.
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Open Data de la jurisprudence administrative (TA107 / DTA_2206272_20240105)