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Une professeure de lettres modernes nous a envoyé un mail après avoir lu « La Réputation, enquête sur la fabrique des filles faciles »*, nous expliquant que le livre l’avait interpellée et résonnait avec ce qu’elle a constaté elle-même dans la ville de Creil.

Enseignante pendant près de 20 ans dans le bassin creillois, son témoignage, qui est édifiant, permet de comprendre un peu mieux les violences dont sont victimes les adolescentes et la chape de plomb qui pèse sur elles.

(…)

“J’ai croisé la trajectoire de Shaïna sans en avoir conscience réellement. Elle n’était pas mon élève, j’ai juste travaillé à Havez quand elle y était scolarisée. Lors d’une sortie scolaire, des élèves m’avaient parlé d’une fille qui avait été violée et changé de collège, je n’avais même pas compris que c’était dans l’établissement dans lequel j’exerçais. C’est dire s’il n’y avait eu aucun écho dans l’établissement… Je me suis retrouvée à réagir face à ce que j’entendais des élèves, sans avoir d’éléments. Quelques élèves continuaient de propager des rumeurs à son égard. Je me souviens notamment d’un groupe de garçons que j’avais interrompu, ils expliquaient que cette jeune fille était une « pute », qu’elle avait eu ce qu’elle méritait parce qu’elle cherchait les garçons.”

“J’ai eu l’impression que le plus dur était au lycée. Les réputations semblaient y être les plus fortes. On sentait que les élèves avaient envie de s’habiller comme elles le voulaient, mais que c’était compliqué pour elles. Je voyais les jeunes filles faire encore plus attention, c’est d’ailleurs à ce moment-là que certaines commençaient à se voiler. Elles enlevaient leur voile dans une sorte de sas devant le lycée, entre la première et la deuxième grille. Les problèmes de harcèlement, de réputation reviennent en réalité très peu aux oreilles des profs. Ce sont souvent des sous-entendus, qu’il faut décrypter. Je constate aussi qu’il n’y a pas les mêmes standards. J’étais perçu comme « française », je pouvais être habillée en jupe, mais il n’aurait pas fallu que les sœurs ou les mères de certains garçons se comportent comme ça. « Madame, vous ce n’est pas pareil », me disaient-ils. Je pouvais traverser le Plateau (la « cité » de Creil, ndlr), mais je ne me sentais pas à l’aise.”

(…) “Je me souviens d’élèves de 6e qui nous demandaient : « pourquoi on voit des femmes nues, Madame ? » Il s’agissait de représentations de déesses de l’antiquité. On ne voyait pas la même chose. Pour nous c’était des œuvres d’arts, des représentations allégoriques, les élèves y voyaient des femmes nues. Il y avait eu aussi des difficultés concernant les cours de biologie. On entendait : « dans ma religion ce n’est pas comme ça ».”

(…) “J’ai vu arriver des familles afghanes, aux alentours de 2018, cela a créé beaucoup de peurs auprès de la population. J’ai eu certains de ces élèves, il fallait leur apprendre à s’asseoir à côté d’une fille en classe. Les ¾ n’avaient jamais été scolarisés, et encore moins avec des filles.”

Charlie Hebdo

(Merci à Tara King)

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