Le directeur du département Opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet , décrit, pour « Le Point » et la Fondation Jean-Jaurès, cette France qui compte de plus en plus sur elle-même. Se développe dans le bas des classes moyennes le sentiment de mener désormais une vie au rabais, marquée par des arbitrages permanents et l’adieu aux petits plaisirs de la vie comme aller au cinéma, acheter des aliments de marque à ses enfants ou s’offrir une coupe chez le coiffeur.
Le prix des produits alimentaires a augmenté en moyenne de 21 % en deux ans, celui de l’électricité de près de 70 % sur cinq ans, et le prix du litre de gazole se situe aujourd’hui autour de 1,80 euro, alors qu’il était à 1,40 euro en novembre 2018, lors du déclenchement du mouvement des Gilets jaunes. On mesure à ces quelques chiffres les effets de la crise inflationniste qui sévit dans le pays depuis la fin de la pandémie.
Face au risque de « smicardisation » et confrontés à des fins de mois de plus en plus difficiles, de nombreux Français ont réactivé les réseaux de solidarité et d’entraide traditionnels : une personne sur cinq (une sur deux au sein des catégories défavorisées) dit ainsi être aujourd’hui régulièrement aidée par des proches. Mais, plus globalement, beaucoup de nos concitoyens ont recours à tous les expédients possibles pour préserver leur pouvoir d’achat et se maintenir à flot, comportements entrant dans le champ de ce que nous appelons l’« économie de la débrouille ».
À l’économie de l’entraide s’ajoutent ainsi toutes les stratégies pour acheter moins cher sur le marché de l’occasion ou pour vendre certains objets. D’après une enquête Ifop réalisée au printemps dernier, 9 % de la population vend des objets ou des vêtements au moins une fois par semaine sur des plateformes, et 11 % une à deux fois par mois. Au total, ce n’est pas moins d’un Français sur cinq qui s’adonne mensuellement à cette activité de ventes d’objets à des particuliers sur Internet. Le fait que cette pratique soit nettement plus répandue dans les jeunes générations que chez les plus âgés indique que nous sommes en présence d’un phénomène émergent. […]
La proportion de nos concitoyens effectuant une « part importante » de leurs achats dans les enseignes de hard-discount est ainsi passée de 43 % de la population en 2010 à 49 % aujourd’hui. La part des achats effectués dans ces enseignes est fortement corrélée avec le milieu social : fréquenter Lidl, Netto, Aldi ou Action constitue le lot quotidien des défavorisés ou des catégories modestes. […]
La troisième classe fut supprimée par la SNCF en 1956. Cette date ne doit rien au hasard. La France était alors en pleines Trente Glorieuses, période caractérisée par un puissant mouvement de moyennisation des modes de vie et d’égalisation sociale, qui eut parmi ses nombreuses traductions concrètes le fait de ramener à deux le nombre de classes dans les trains… L’arrivée des enseignes de hard-discount, au début des années 1990, puis la création ultérieure des Ouigo et des cars Macron, résonnent comme les prémices d’un processus de démoyennisation. […]