Dans le quartier de la Paillade, à Montpellier, les élèves d’Arthur-Rimbaud racontent l’histoire derrière l’agression violente de Samara, survenue le 2 avril à la sortie des cours. Pourquoi l’adolescente de 13 ans a-t-elle été prise pour cible ? Sa « mauvaise réputation », nous dit-on. Cette ville dans la ville, construite dans les années 1960, compte aujourd’hui 25 000 habitants, majoritairement d’origine maghrébine, dont plus de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté.
Mi-gênés, mi-amusés par l’attention médiatique inédite, les ados les plus loquaces donnent chacun leur version. Le motif religieux a un temps été évoqué – Samara, contrairement à F., ne porte pas le voile et s’habille « à l’européenne », a indiqué sa mère – avant d’être balayé par les collégiens, unanimes : il s’agirait là d’une histoire de harcèlement, physique et en ligne, amplifié par les réseaux sociaux, et dont Samara était la victime depuis plus d’un an. Les premiers éléments de l’enquête vont aussi dans ce sens. Le déferlement de violence trouverait son origine dans « les invectives » entre élèves sur les réseaux sociaux, a indiqué le parquet. […]
Pourquoi Samara a-t-elle été le bouc émissaire de certains et de F. en particulier ? « Elle s’amusait à afficher les gens sur les réseaux, à les prendre en photo », assure un élève de 3 e. « Elles étaient rivales, notamment via les réseaux sociaux », déclare pour sa part l’avocat de F. Mais une autre piste se dégage : Samara, nous explique-t-on, n’a « pas bonne réputation ». Trois expressions reviennent presque systématiquement : « fille facile », ou « BDH » (pour « bandeuse d’hommes »), « mauvaises fréquentations ». […]
En ce début des vacances scolaires, Nour [le prénom a été changé], élève à Arthur-Rimbaud, marche avec quatre copines dans la Paillade. Le petit groupe accepte de nous résumer l’histoire derrière l’agression de Samara. Au coeur des rumeurs figure « un compte fisha » – comprendre : un profil sur les réseaux sociaux qui diffuse des photos non consenties de personnes dans le but de les humilier -, supprimé depuis. Selon des collégiens, les agresseurs s’en seraient pris à la jeune fille car ils la pensaient propriétaire du compte. D’autres parlent d’un « guet-apens » contre Samara manigancé par F., qui l’avait prise en grippe.
Quand on demande pourquoi Samara traînait cette « mauvaise réputation », la réponse heurte par sa simplicité extrême : « Parce qu’un jour, une fille qui ne l’aimait pas en a décidé ainsi », dit Nour. Sa copine, aujourd’hui au lycée, appuie : « Tu ne peux jamais être tranquille. Que tu sois gentil ou méchant, dans tous les cas, tu as une réputation. Et c’est comme ça dans tous les collèges. » […]
« Le harcèlement lié à la réputation, ça a toujours existé. Mais, ici, s’ajoute le poids de la religion (musulmane), de la pureté des filles, et il suffit de peu, un regard, une discussion, pour qu’une ado soit qualifiée de BDH », constate Gaëlle, éducatrice spécialisée qui travaille à la Paillade. Cette forme de surveillance est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans un quartier « où les familles se connaissent ». On en fait vite le constat : lors de notre échange avec le groupe de filles, elles ne cessent de jeter des coups d’oeil à droite et à gauche. « Ici, tout se sait, il faut faire attention à qui nous regarde. » […]