6 jours, 6 morts : les violences en Nouvelle Calédonie provoquées par l’incompétence du gouvernement français me ramènent à mes sujets de (très jeune) chercheur.
Un🧵de géographie urbaine et postcoloniale sur Nouméa et son quartier Tuband, où les barricades ont poussé.
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“Soweto Nouvelle Génération” : pour les jeunes Kanak du quartier Tuband, le parallèle de la Nouvelle Calédonie avec l’apartheid en Afrique du Sud était d’ailleurs évident, et inscrit sur les murs lors de mon arrivée.
Mon mémoire interrogeait ainsi la notion de justice spatiale en contexte postcolonial, avec comme cas d’étude la ville hyper-ségréguée de Nouméa et construction d’un nouveau quartier : Tuband – presque fini en 2011 (voir photos aériennes)
Tuband est un domaine foncier localisé dans les beaux quartiers de la ville, anciennement habité par des populations mélanésiennes sous forme de squats. Le terrain a depuis été divisé en deux : un lotissement de villas très aisé (1er plan), un quartier de logements sociaux (2e)
Dans un contexte où les inégalités économiques sont alignées sur les inégalités ethniques, héritage du projet de dépossession foncière et d’hégémonie politique au profit des colons blancs, Tuband amenait une justice spatiale inédite dans l’histoire coloniale de Nouméa.
Les logements sociaux ont permis de compenser un – tout petit – peu la profonde ségrégation socio-ethnique de la ville, en permettent à des populations Kanak et polynésiennes d’accéder aux beaux quartiers historiquement construits sur l’exclusion des gens de couleur.
Tuband, notamment par son collège localisé côté “toits verts”, est alors devenu un symbole commode du “vivre-ensemble”, immanquablement mis en avant lors des visites officielles : Sarkozy en 2012 ; Vallaud-Belkacem en 2016 etc.
youtube.com/watch?v=3kzEU7…
Mais à côté du collège, il y a ces vastes villas aux toits rouges, ces murs et ces barbelés. Une juxtaposition qui matérialise et reproduit les inégalités héritées du colonialisme, et accentuées par les mobilités contemporaines et la situation économique de la NC.
Car la Nouvelle-Calédonie est une économie assistée, placée dans un état de dépendance sous perfusion constante : salaires élevés des fonctionnaires, aides économiques, exonérations fiscales etc. La vie est donc très chère – comme le logement.
Cette mise sous dépendance stratégique de l’économie assure un contrôle politique du nickel, et permet aussi à la France de conserver une présence diplomatique, militaire et commerciale dans le Pacifique, sans penser un processus de décolonisation concerté
wsj.com/world/behind-n…
En parallèle, certains observateurs notent que le processus de colonisation ne s’est pas arrêté, notamment par l’arrivée régulière de populations de France métropolitaine, qui disposent de plus hauts revenus… et sont surreprésentées dans le lotissement “toit rouge” de Tuband.
C’est donc la reproduction des inégalités sociales forgées par le colonialisme, maintenues par une économie sous perfusion et un faible processus de décolonisation, qui a façonné l’urbanisation de Tuband et la production de la ville. Voir la notice dédiée: editions.ird.fr/produit/39/978…
Le symbole de Tuband est certes nécessaire dans une société post-conflit, marquée par les violences des années 1980. Mais le cosmétique ne suffit pas en situation postcoloniale, surtout quant l’Etat français persiste à ignorer cette dimension des rapports sociaux et économiques.
Et ces derniers jours des gens meurent et des gens se tuent à Nouméa. Des barricades ont poussé à Tuband, dans un espace symbole du vivre ensemble et aujourd’hui rattrapé par la matrice coloniale des inégalités, délaissée par les politiques publiques.
Ecrit en (mauvais) anglais, je partage ce mémoire car il y a encore peu de travaux de géographie critique et d’économie politique qui interrogent l’évolution de la ville de Nouméa, pourtant centrale pour la paix et l’avenir de la Nouvelle Calédonie shs.hal.science/tel-04577436v1
Suite à des demandes de précision : il s’agit d’un mémoire de master 2 en géographie, réalisé lors de mes études à l’École Normale Supérieure de Lyon. Je suis agrégé et docteur en géographie.