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L’appel des 1 000 historiens contre le RN a été publié dans Le Monde, puis l’appel des 200 philosophes dans Libération. Merci à eux pour ces contributions vigoureuses au débat public. Pourtant quelque chose m’empêche de les rejoindre. Je n’ai signé aucune pétition, rallié aucune tribune, je n’en signerai pas. Un malaise m’a retenu. Le sentiment qu’ajouter mon nom à des centaines d’autres, lesté d’un titre de professeur dans l’université d’une riche métropole, ne ferait pas plus descendre le plateau d’une balance qui déjà touche terre. Qui déjà touchait terre avant tout cela. Qui déjà cumulait trop de poids. Je n’ai pas voté non plus au second tour des législatives. Non que cela fut vain, ce n’est pas le problème, mais il n’y avait pas d’enjeu de conquête. Ma circonscription a élu son député Front populaire dès le premier tour. Il n’y a jamais eu de candidat RN au second tour et il n’y en aura probablement jamais dans cette circonscription. Comme il n’y aura jamais probablement d’électeur RN parmi mes illustres collègues, ou si peu.

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Je ne peux m’abstraire du sentiment que notre unanimité n’indique pas la solution du problème, mais fait partie du problème. Et qu’il y a de l’arrogance à dire quel doit être le sens de l’histoire quand on est du bon côté de cette histoire. Je suis gêné de tant de concentration de titres universitaires quand, dans le même moment, il n’y a plus ni médecin, ni instit, ni notable, ni curé dans tant de communes, sauf pendant la pause estivale. Ça n’a rien à voir me direz-vous, j’aimerais partager cette certitude mais je n’y parviens pas. Je crois à la vocation populaire de l’université, le profil de l’électorat RN me donne un sentiment d’échec.

Je crains que cette liberté même dont je jouis n’ait été volée à d’autres. Que si bien des Français veulent renverser la table, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas s’y asseoir. Qu’ils étaient assignés à écouter notre conversation sans pouvoir la rejoindre. Parce que le bénéfice de la tolérance que l’on craint de voir disparaître leur était déjà refusé. Qu’ils n’avaient pas le droit de dire que leur monde changeait d’une manière qu’ils estiment indésirable. Que nous n’osions dire que leurs opinions sur le rythme du changement social et ses priorités pouvaient être respectables. Nous craignons la fin du pluralisme mais l’avons-nous suffisamment fait vivre ?

Je crains que s’arroger la défense de l’héritage de « 1789 » ne soit un abus de privilège. Que l’on a sans doute trop présenté des micro-conquêtes sociétales comme des révolutions au moment même où l’Etat se retirait de territoires entiers, fermant écoles, tribunaux et maternités. Qu’il n’était pas nécessaire de jeter systématiquement le soupçon sur l’idée de nation, sauf à prendre le risque que son usage devienne exclusif à ceux qui en font une ressource d’exclusion. Je crains qu’en jetant sans cesse le képi du maréchal Pétain à la figure des Français qui votent mal, nous manquions de courage. Celui de reconnaître ceux que nous avons quittés comme des concitoyens. Non les miliciens d’un passé qui ne passe pas mais nos contemporains abîmés par le coût social, environnemental, économique, toujours plus exorbitant de notre confort.

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La Croix

Merci à Valentin

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