Fdesouche

Douarnenez, petite ville du Finistère de 14 000 habitants,  s’apprête à fêter le centenaire de la grève des sardinières avec les anciens et les « néo », ces nouveaux habitants attirés par la culture contestataire du lieu. La cohabitation avec cette communauté, pour la plupart issus des milieux artistiques et culturels, venue réinventer sa vie, n’est pas sans générer des tensions.

[…] Leïla Couroussé-Licois habite alors la capitale, où elle enchaîne les contrats précaires comme attachée de production à Radio France. En 2017, les trois amies décident sur un coup de tête de lâcher les amarres parisiennes pour venir s’installer là − sans même savoir quel emploi elles pourraient y occuper. L’une d’elles s’orientera vers le métier de psychologue, et l’autre, alors vidéaste, se reconvertira comme cuisinière dans le bio. Leïla Couroussé-Licois, elle, est vite embauchée dans une librairie du centre, où elle rencontre Brice, lui-même salarié.

Avec deux autres personnes récemment arrivées, ils décident de créer l’Angle rouge, sur un modèle de coopérative − rare pour une librairie − et avec la volonté d’en faire un lieu vivant, à l’année, et ancré dans le territoire. Généraliste, tout en étant engagée à gauche, leur offre entre en résonance avec la nouvelle population qui continue de s’installer. […]

A l’échelle d’une si petite ville, l’afflux d’une nouvelle population n’est pas sans effet. « Quand je suis arrivée, on parlait encore de ville sinistrée, le nombre d’habitants avait chuté après la crise de la pêche, l’économie allait mal. Mais depuis, j’ai assisté à un changement qui est assez visible quand on se promène dans les rues, dont la librairie a d’ailleurs fait partie », raconte la jeune femme.

Des galeries d’art, bars à vins nature et autres fromageries ont poussé un peu partout. Certains commerces populaires ont fermé, plusieurs PMU n’ont pas été repris. Le port du Rosmeur et ses cafés au bord de l’eau ont connu une campagne de rafraîchissement. Entre-temps, l’ancienne cité ouvrière a acquis le surnom de « Montreuil-sur-Mer », significatif du mouvement de gentrification. Mais la pression se porte surtout sur le logement. Comme partout sur le littoral breton, les habitants racontent la flambée des prix qui court depuis 2018. En un an, relève le Figaro Immobilier, le prix des biens à Douarnenez a encore bondi de 13 %, avec une moyenne entre 2 500 et 3 500 euros du mètre carré. […]

Leurs « modes de vie » ne sont, par ailleurs, pas au goût de tous, et les tensions qui peuvent émerger sont aussi d’ordre culturel. En 2022, l’organisation du carnaval des Gras, institution où les habitants défilent déguisés, est le théâtre d’un face-à-face entre anciens et « néo ». Parmi ces derniers, certains dénoncent, par pétition anonyme, des représentations racistes, dont des « blackfaces », qui y ont droit de cité. Le ton monte sur le port breton. Des façades sont taguées par les uns, des pneus crevés par les autres.

« Ça a été une rencontre électrique entre des mondes qui ne parlent pas le même langage, regrette Françoise Pencalet. Les termes de “blackface” ou d’“appropriation culturelle”, ça ne disait rien à ceux qui défilaient ici et ont eu l’impression qu’on leur faisait la leçon. » Les tensions ne sont pas tout à fait retombées depuis. « Il y a un refus de se poser des questions et d’accepter d’évoluer. Pourtant, l’essence du carnaval, c’est de se moquer des puissants, pas des gens minorisés », lâche, amère, une jeune femme qui vit là depuis quatre ans.

En 2023, alors qu’un groupe d’habitants « néo » s’oppose à l’arrivée au port de paquebots de croisière, des étincelles renaissent. Pas de nature à apaiser les frictions, la maire divers droite, Jocelyne Poitevin, fustige alors la dictature des « antitout » dans le journal local. « Ces gens-là arrivent avec des idées arrêtées, et si vous n’adhérez pas à leur pensée, vous ne pouvez qu’être bons à jeter. Aucun dialogue n’est possible avec eux », tempête-t-elle toujours aujourd’hui. […]

Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux