EXCLUSIF. Dans un long entretien accordé à notre journal, le nouveau garde des Sceaux nous détaille ses premières pistes d’actions et priorités dans un contexte politique et budgétaire incertain. (…) Il nous détaille une première batterie de mesures, « rapides, simples, efficaces », se vante-t-il. Même si leur efficience devra se confronter au réel (…)
Quelle est votre méthode pour faire mieux que vos prédécesseurs ?
Mon bureau, c’est le terrain. C’est ma méthode. J’ai appris cela de mon expérience de maire, que l’on ne fait pas une bonne politique sans écouter les gens sur le terrain. (…)
Quels sont vos objectifs chiffrés pour le ministère de la Justice ?
La justice c’est 2 % du budget de l’État. On dit que l’État doit se serrer la ceinture. Mais cela fait plus de 30 ans que la Justice fait des efforts. Cela n’aurait aucun sens de nommer un ministre de la Justice ministre d’État, de le mettre si haut dans l’ordre protocolaire, de me faire revenir au gouvernement, pour finalement de ne pas me donner les moyens de mener mon action si attendue par les Français. (…)
Mais quelles sont vos solutions pour faire reculer le narcobanditisme ?
Il y a aujourd’hui 17 000 détenus liés au trafic de drogue dans nos prisons. Aucun Français ne comprend pourquoi certains continuent à diriger des trafics depuis leurs cellules, à envoyer de l’argent et même, à commander des assassinats. Comment un prisonnier comme Mohamed Amra a-t-il pu organiser son évasion depuis la prison ? C’est incompréhensible. Après son évasion, nous avions mené des perquisitions dans trois prisons et huit cellules et nous avions trouvé plus de 40 téléphones portables ! Ma première solution, c’est donc de nettoyer les prisons françaises. Cela passe par des opérations de saisies massives de téléphones portables. Ensuite, on va identifier les chefs de réseaux des organisations criminelles incarcérés. J’ai demandé à l’administration pénitentiaire de me faire la liste des 100 plus grands narcotrafiquants écroués, ceux susceptibles d’avoir des contacts avec l’extérieur pour poursuivre leurs activités criminelles, et nous les mettrons à l’isolement, comme on le fait pour les terroristes. Ce sera une sorte de most wanted des trafiquants de drogue en prison. (…)
En tant que ministre de l’Intérieur, vous vous êtes affichés lors de manifestations organisées par des syndicats de policiers durant lesquels des slogans tels que « le problème de la police, c’est la justice » ont été scandés. La justice est trop laxiste en France ?
Je ne regrette en rien d’avoir participé à cette manifestation. Je rappelle qu’elle avait été organisée à la suite de l’assassinat d’Éric Masson, brigadier de police mort sur un point de deal à Avignon en mai 2021 qui a laissé une veuve et des enfants. Il a été tué par le narcobanditisme. J’ai toujours soutenu les policiers et les gendarmes. Comme je soutiendrai toujours les magistrats, les greffiers, les agents pénitentiaires et la PJJ. Quand on est le chef d’une administration, on doit être le premier sur le terrain avec ses troupes et ne pas être celui qui commente derrière une télévision dans un salon doré.
Il n’y a donc pas de laxisme dans la justice, ou une forme de culture de l’excuse en France ?
Je pense que le problème de la police, c’est les moyens de la justice. Il y a 250 000 policiers et gendarmes… pour 8000 magistrats. Ce chiffre suffit pour comprendre le problème. Du reste, je sais qu’on devient magistrat par idéal, un idéal de justice. Je n’imagine qu’on puisse faire de la politique quand on est haut fonctionnaire ou personnel de justice. Ils ont tout mon soutien et ma confiance. (…)
Vous avez un modèle dans ce ministère ?
Bien sûr, on pense tous à Robert Badinter. Mais il y a aussi à René Cassin. Il a été le ministre de la Justice du Général de Gaulle et il est parvenu à démontrer l’inconstitutionnalité du régime de Vichy. Il a été le premier à souhaiter la citoyenneté des juifs et des musulmans en Algérie. Ce qui me touche dans mon histoire personnelle. Il a rédigé la déclaration des droits de l’Homme en 1946. Il est pour moi une source d’inspiration. (…)