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C’est décidé: la Région bruxelloise ne classera pas la sculpture “La Maturité” ainsi que le square qui l’entoure. Lors d’une récente réunion, le gouvernement régional n’a pas été sensible aux arguments de la Commission royale des Monuments et Sites (CRMS) qui avait introduit en septembre dernier une demande en ce sens, mettant en avant l’urgence de se rendre au chevet de cette placette coincée entre le nouveau siège de la Fortis et la gare Centrale. Le lieu est dans “un état alarmant” alertait la Commission.

Le square et l’œuvre datant de 1922 et signée de l’artiste Victor Rousseau se présentent sous des aspects “tout à fait déplorables et dégradés” par des chantiers successifs. D’abord, il y a quelques années, celui de la construction du nouveau méga-siège de la banque BNP Paribas Fortis. Ensuite, celui en cours liée à la rénovation de la station de métro Gare Centrale qui déborde en surface. Autour de la sculpture, des barrières, des cabanes et des restes de chantier empêchent de contempler la réalisation en marbre blanc de Carrare.

Ce n’est pas fini. “Les travaux ont provoqué le démontage d’une bonne partie de la balustrade. Les parterres et pelouses ont été rasés et ce qui reste des plantations n’a plus été entretenu.” Les conditions de conservation de la sculpture “combinées à son encrassement dû à la pollution atmosphérique (le marbre a perdu sa blancheur et par endroits, les dépôts de pollution empêchent la lisibilité des détails des personnages) et à des actes de vandalisme sont inadmissibles.”

Inadmissibles car il s’agit, selon la Commission, d’une œuvre majeure dans la ville sur le tracé de la jonction Nord-Midi, qui plus est de Victor Rousseau (1865-1954), Belge couronné à l’époque du Grand Prix de sculpture de Rome.

Mais si le gouvernement régional n’a pas été dans le sens de la CRMS, c’est notamment pour une considération. Six personnages sont repris dans ce triptyque. “La Maturité” est incarnée par un homme âgé barbu, assis au centre, trônant sur un drap. A gauche et à droite: une jeune fille agenouillée, une femme debout portant une corbeille de fleurs et de fruits, un jeune couple debout et un jeune homme assis qui se détourne.

L’arrêté du gouvernement est explicite. “L’œuvre “La Maturité” était vraisemblablement comprise comme une image idéalisée de la famille et, par extension, de la perpétuation du cycle de la vie, avec la personnification de l’idée de maturité, à travers la représentation d’un homme dans la force de l’âge et de sa femme symbole de fécondité, tous deux contemplant sereinement leurs enfants figurés dans différentes attitudes emblématiques de la jeunesse.”

Une vision patriarcale, selon la Région bruxelloise, qui ne mérite pas un classement. “Bien que l’œuvre soit un chef-d’œuvre de son époque, elle véhicule des valeurs qui ne sont plus en phase avec celles de la société actuelle, avec une vision patriarcale des rapports sociaux et familiaux véhiculée par l’œuvre, avec des stéréotypes figés sur la famille et le pouvoir masculin.”

Le gouvernement ajoute: “Victor Rousseau matérialise sa vision de l’idée de maturité, en tant que notion absolue, universelle et intemporelle. L’homme assis au centre du groupe incarnerait l’image idéalisée de la maturité: un homme d’âge mûr contemplant, avec sérénité et sagesse, la vie s’épanouir sous ses yeux. La femme, à la poitrine dénudée, qui repend des moissons de fleurs et de fruits à travers toute la composition, peut plus aisément être associée à l’image de la déesse-mère, nourricière et féconde.”

La Région ne propose pas la suppression de l’œuvre mais un déplacement et une recontextualisation, d’autant que Bruxelles regorge d’œuvres de Rousseau (monument à Charles Buls sur la Grand-Place, des sculptures sur les façades des hôtels de ville de Forest et Saint-Gilles…). “Le déplacement de l’œuvre “La Maturité” n’entraînerait pas la négation de la valeur historique de l’artiste, mais permettrait d’éviter une glorification excessive d’un seul créateur au détriment de la diversité artistique ; qu’une volonté de rééquilibrage qui viserait à laisser la place à d’autres artistes contemporains et à renouveler la composition de l’espace public de manière plus inclusive serait légitime.”

Reste que ne pas classer “La Maturité” – le gouvernement n’entame qu’une inscription sur la liste de sauvegarde, autorisant transformations et déménagement – , c’est laisser le champ libre aux “Côteaux du Pentagone”, le grand plan de réaménagement du quartier confié en 2020 par la Ville de Bruxelles et l’ex-échevine et actuelle secrétaire d’Etat régionale Ans Persoons (Vooruit) au célèbre urbaniste Bas Smets. L’idée: repenser l’espace public en le rendant moins monofonctionnel et en y intégrant des “forêts urbaines”. La demande de permis a été suspendue par la demande de classement. Le gouvernement ayant aujourd’hui tranché, la procédure peut reprendre son cours.

RTBF

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